Avant-propos du dernier ouvrage publié : Piaget : Constructivisme - Intelligence
Cet article publié en avril 2012 a été modifié en juillet 2014
L'avant propos publié ci-dessous est partiellement emprunté à mon dernier ouvrage. Avant de le présenter, j’aimerais dire quelques mots sur les conditions dans lesquelles je l’ai rédigé.
Le manuscrit de ce manuel était terminé quand j'ai lu deux biographies de Chopin[1] au printemps 2010. Bien que Chopin et Piaget soient séparés par l’époque, la discipline, la santé et le mode de vie, ils m'ont semblé néanmoins partager quelques points communs : des dons exceptionnels dès l'enfance; du génie allié à l’élégance de la pensée à l'âge adulte.
Partant, les biographies du maître incontesté du piano m’ont inspirée dans la manière d’écrire cet avant-propos qui est essentiellement un plaidoyer où je tente d’être mon propre avocat, pas nécessairement le meilleur !
Extrait de l’Avant-propos[2] du manuel : Piaget Constructivisme Intelligence, L'avenir d'une théorie, Septentrion -Les savoirs mieux (2011).
Pourquoi écrire un ouvrage de plus sur Piaget ? Quand on me l’a proposé, j’ai accepté non sans quelques réticences pour essayer de répondre à la question de la survie de l'auteur dans les décennies à venir. A cette fin, j’ai voulu mettre l’accent sur les points que je considère essentiels dans sa théorie et qu’il explique fort bien dans le premier chapitre de « Logique et connaissance scientifique ». Points au demeurant très peu développés dans d’excellents ouvrages. A contrario, j’ai souhaité laisser dans l’ombre certains éléments désormais trop célèbres. J’ai fait un choix dont le lecteur averti pourra dénoncer la pertinence.
En rédigeant cet ouvrage, j’ai pris plaisir à fréquenter le jeune Piaget. L’enfant, l’adolescent, esquissé ici dans un rapide portrait, annonce un homme de science exceptionnel. Si exceptionnel qu’il ne pouvait être tout à fait des nôtres. Savant au vrai sens du terme, d’accès difficile pour le lecteur non initié de son temps. Etranger ou presque pour le lecteur actuel.
Si l’on ajoute que ce chercheur en sciences humaines a cru bon d’élaborer une théorie du développement de l’intelligence non assujettie aux influences fatales en vogue à son époque et toujours en vogue, l’affectivité et les transmissions socio-culturelles, et que de surcroît, il ne connaît d’intelligence autre que l’intelligence logico-mathématique, alors on comprend derechef pourquoi les étudiants, à l’instar de quelques spécialistes des sciences humaines, n’ont guère été attirés par ses écrits. Il n’était pas des leurs.
Certes, la théorie de Piaget n’est pas facile, mais existe-t-il une théorie facile ? Qui plus est, Piaget se donne comme objectif essentiel d’énoncer des réponses claires sur l’origine des connaissances logico-mathématiques et sur celle de leurs perpétuels progrès. Il s’attache à démontrer que le réel physique ne serait pas intelligible sans un minimum de cadre logico-mathématique. Gageons que pour lui le réel social connaissait le même sort.
S’il me fallait retenir une seule idée forte de l’œuvre de Jean Piaget, je retiendrais sa réponse sur l’origine de la logique et des mathématiques : il montre avec une profondeur convaincante qu’elles ont été et sont toujours ajoutées par les hommes au réel physique. C’est à cette réponse qu’est consacrée une grande partie de cet ouvrage.
Enfin, j’ai tenu à dénoncer les erreurs commises parfois par de très grands noms de la psychologie française ou anglo-saxonne. Erreurs relatives aux rôles attribués au langage et aux transmissions socio-culturelles dans la construction de l’intelligence chez un sujet quelconque qui nous ressemble fort. Du sujet qu’il va étudier qui deviendra le sujet épistémique dont on lui a fait tant procès, voilà ce qu’il écrit en 1924 : « ... le bébé subit une influence sociale d’abord très légère mais de plus en plus contraignante, qui commence par canaliser son esprit mais qui finit par le modeler et peut-être par l’altérer de fond en comble. La langue qu’on lui apprend (…) est surtout un système de notions, de jugements implicites. Elle constitue une sorte de pensée cristallisée et impersonnelle héritée de générations précédentes. Pensée infiniment tyrannique qui pèsera sur tout état de conscience individuelle, si intime soit-il. »
Le sujet piagétien socialisé n’est pas tout à fait le même que celui de Vygotski ou de Wallon mais il est tout aussi imprégné de ses milieux que les leurs. Beaucoup trop à son goût. Le lecteur comprendra mieux en faisant la connaissance du père de Jean Piaget pourquoi son fils redoutait tant le poids écrasant des transmissions socio-culturelles. Selon lui, si celles-ci étaient seules en jeu, elles feraient de nous tous des êtres attachés aux traditions, aux religions, aux modes nouvelles ou aux idéologies des élites bien pensantes. Piaget fera donc de la logique, parent pauvre des sociologues, des psychanalystes et des politiques, un bouclier susceptible de nous protéger contre nos engouements aveugles.
Mais est-ce bien raisonnable de ne pas vibrer aux courants portés par toute une époque ? Non, bien sûr que non, car si la raison n’était jamais mise à la porte, qu’adviendrait-il de nos joies insensées ? Qu’adviendrait-il de nos passions profondes ? « Il faut rire et pleurer, aimer travailler, jouir et souffrir, enfin il faut vibrer autant que possible dans toute son étendue au courant de son époque. Voilà, je crois, le vrai humain », écrivait Gustave Flaubert à George Sand.
Piaget, à défaut de s’intéresser au vrai humain, fut le premier à enquêter de manière résolument scientifique sur la vraie raison. Et certains mal informés ou mal intentionnés lui en ont voulu et lui en veulent toujours d’avoir « réduit » - le terme est éloquent- l’humain à ce qu’il a de raisonnable. Il faut donc redire pour la dernière fois que cette vindicte n’est pas raisonnable ; elle est le symptôme avéré de l’incompréhension de l’objet de recherche de Piaget, objet pourtant si sagement découpé jusqu’en 1970 : la Raison.
A.C.B.
[1] Cortot, A. Aspects de Chopin. Paris : Albin-Michel
(1974) Gavoty, B. Chopin. Paris : Grasset
[2](2011) Chalon-Blanc, A. Piaget : Constructivisme – Intelligence, Presses Universitaires du Septentrion.
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